De Bruxelles à Paris, itinéraire d’une victoire

Article : De Bruxelles à Paris, itinéraire d’une victoire
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19 juillet 2018

De Bruxelles à Paris, itinéraire d’une victoire

Récit subjectif et non exhaustif d’une soirée hors du temps. 

Crédit : Eugénie Senlis

Bruxelles, seuls contre tous

Une seconde de flottement, puis c’est l’explosion. Les Bleus viennent de remporter la Coupe du Monde face à la Croatie. Les supporters français réunis dans la cour de l’hôtel Steingenberger Wiltcher’s, à Bruxelles laissent éclater leur joie. La Marseillaise résonne, suivie de l’incontournable « On est les champions ! ». Des jets de bières sont projetés sur la foule déchaînée. De l’agitation générale ne ressort que trois couleurs : bleu, blanc, rouge. À l’écran, les joueurs s’embrassent. Le temps est beau, le ciel est bleu et la France vient de remporter sa deuxième Coupe du Monde, vingt ans après 1998.

« Pas emballants, cyniques, mais champions du monde »

Si la cour du Steingenberger Wiltcher’s a attiré beaucoup de supporters français, quelques dizaines de Belges sont également présents. Difficile de les différencier des supporters croates : tous soutiennent la même équipe. Ce sont eux qu’on a entendu crier de joie lors des deux buts inscrits par la Croatie. Les Belges ont du mal à digérer leur défaite contre leur voisin outre-quiévrain en demi-finale. À Bruxelles, ville cosmopolite et européenne, ils sont soutenus par beaucoup d’étrangers qui n’apprécient guère ces Bleus « pas emballants, cyniques, mais champions du monde » (La Libre Belgique, lundi 16 juillet).

Des supporters français se prennent en selfie après le match (Crédit : Eugénie Senlis)

Transfert

Bruxelles toujours, Gare du Midi, 20h. Mes yeux brillent encore de cette chaleur brûlante partagée à l’unisson dans cette cour d’hôtel. Un couple a eu moins de chance : partis voir le match dans un bar du centre-ville, ils étaient seuls français parmi des supporters belges et croates, dont certains les ont violemment pris à parti « Rentrez chez vous, on ne vous doit rien. »  Certes, le pénalty de Griezmann peut être discuté, certes l’un des quatre buts mis par la France a été marqué par un joueur croate. Certes la façon de jouer de l’équipe française peut être questionnée. Mais elle a aussi prouvé son efficacité.

« Les gens donnent plus facilement pendant la Coupe du Monde »

À l’extérieur de la gare, Pierre (prénom modifié) fume une cigarette. Il aborde un maillot noir, jaune, rouge (les couleurs de la Belgique). Pierre est à la rue depuis qu’il a perdu son travail. La Coupe du Monde, qu’il suit dans les bars alentours, lui permet d’oublier un peu sa situation « Les gens sont plus sympas depuis un mois, on parle de foot, ils donnent plus facilement ».

Le Thalys de 20h13 en provenance d’Amsterdam est plein à craquer. Mais l’ambiance est dans le wagon bar, où un groupe de jeunes supporters français exaltés hurlent à plein poumons des chants qui célèbrent leurs héros « We are the champions », la Marseillaise, « Didier Deschamps (x4) ». Derrière le bar, occupée à servir des bières qui ne cessent de se vider, Rose-Marie n’apprécie que moyennement l’agitation  « je ne sais pas ce qui m’a pris de venir travailler ce soir ». Si les passagers assis ne prennent pas part à la chenille pourtant lancée avec entrain, aucun ne râle, plusieurs semblent trouver plutôt sympathiques ces manifestations de joie. Nathalie et ses amies, qui ont regardé le match dans le train, rigolent « Au début on était seules dans le wagon-bar, on est dans le Thalys avec les gens les moins drôles du monde.»  Heureusement plusieurs compatriotes et même deux Néerlandais se sont joints à la célébration.

Crédit : Eugénie Senlis

Paris aux airs de 1998

Il est 21h35 lorsque le Thalys entre dans la Gare du Nord. La « bande du wagon-bar » reste groupée, on apprend qu’aucun métro ne fonctionne, que les transports en commun sont bloqués. Peu importe, on marchera. Direction les Champs Elysées. Dans la rue l’ambiance est surréaliste : la musique résonne, les Klaxons sonnent à tout-va, les gens se mêlent, se félicitent, mangent ou boivent aux Bleus. En cours de route on apprend que des affrontements ont eu lieu aux Champs, qu’il devient dangereux de s’y rendre.

Certains fervents supporters ont demandé des jours de congé à leurs patrons

Changement de plan, on se dirige vers les Grands Boulevard. Là, un attroupement s’est formé au milieu de la route. des pétards explosent, un feu d’artifice est lancé. Certains ont grimpé au sommet des poteaux, sur les voitures, les cris saturent l’atmosphère. L’ambiance est euphorique (ou cataclysmique, selon les points de vue). Au Sunset Boulevard, les bières coulent à flot. Les barmans s’agitent dans tous les sens. Des groupes se forment, les voix s’élèvent ensemble, les joueurs sont encensés alors qu’ils défilent à l’écran. Les mélodies sont reprises en choeur « Benjamin Pavard / je crois pas qu’vous connaissez Il sort de nul part / Une frappe de bâtard / On a Benjamin Pavard ». Camille fête son 22ème anniversaire, une soirée dont elle se rappellera toute sa vie, même si elle n’a pas pu voir le match. Elle regrette quand même certaines attitudes « des gars en voiture m’ont interpellée dans la rue, puis ils m’ont volé mon drapeau ».

Il est maintenant 2 heures du matin, lundi 16 juillet. Les âmes raisonnables sont rentrées prendre un repos bien mérité, mais les plus heureux (ou plus alcoolisés ?) restent faire la fête dans les rues. Rarement Paris n’a connu telle effervescence. Certains ont même demandé une journée de congé à leurs patrons.

Crédit : Eugénie Senlis

Lendemain de fête

D’autres n’ont pas eu cette chance et, à 8h du matin, les métros parisiens sont silencieux, les têtes plus fatiguées que d’ordinaire. Paris est en gueule de bois, mais de celles qu’on aime et qu’on ne regrette pas. Dans les kiosques les Unes sont remplies des visages extatiques des Bleus, d’exclamations en capitales, d’images de supporters heureux. À Lille la Voix du Nord et la Voix du Sport, fait rare, abordent quasiment la même couverture. Dans l’Eurostar qui les ramène à Bruxelles, deux hommes discutent avec animation de leur nuit « je suis rentrée à 7h du matin ».

Arrivée en Belgique, changement d’ambiance. La presse titre entièrement sur le retour des Diables Rouges dans le pays, dont la venue a attiré plus de 40 000 supporters sur la Grand Place. La victoire des Bleus est minorée, remplacée par les photos des Belges heureux, fiers de leur équipe qui est allée loin dans la compétition. Sur les réseaux sociaux, les tensions se sont accrues entre les deux pays cette semaine, non aidées par les joueurs eux-mêmes, entre la vanne de Lucas Hernandez sur le perron de l’Elysée et les propos peu amènes du gardien belge Thibaut Courtois.

Mais ce froid (temporaire, espérons le) ne doit pas faire oublier l’atmosphère qui aura régné dans les deux pays pendant un mois  :  le partage d’une exaltation nationale, beaucoup de joie (et de bières) et le sentiment d’être réunis et de soutenir, ensemble, une équipe.

Et surtout pour les Français, ceux qui comme moi ne se souviennent pas de 1998, la jubilation de pouvoir dire dans quelques années « J’y étais ».

Je tiens à remercier à nouveau Eugénie Senlis pour ses belles photos !
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